Produit par Focus Features et BBC Films (2011)
avec Mia Wasikowska (Jane Eyre), Michael Fassbender (Edward Rochester), Jamie Bell (St John Rivers), Dame Judi Dench (Mrs Fairfax), Tamzin Merchant (Mary Rivers), Holliday Grainger (Diana Rivers), Sally Hawkins (Mrs Reed), Romy Moore (Adèle), Harry Lloyd (Richard Mason), Imogen Poots (Blanche Ingram)
Bon, je vais vous faire grâce d'un énième résumé de cette sublime histoire écrite par Charlotte Brontë et publiée en 1847 sous le pseudonyme de Currer Bell. Cela ne serait sans doute pas d'une très grande utilité dans le cadre de cet article, puisqu'il sera surtout question ici de l'adaptation tournée par Cary Fukunaga et adaptée par Moira Buffini.
On avait annoncé, lors du tournage puis de la post-production, que ce film serait un retour aux sources originelles de l'oeuvre, sur fond d'expressionnisme et d'ambiance gothique. Les bandes-annonces qui circulaient depuis quelques temps laissaient effectivement entrevoir quelque chose qui pouvait y ressembler, le tout mis en valeur par une photographie très soignée.
Après avoir visionné cette adaptation, mon sentiment est mitigé, mais pas réellement négatif. Tout d'abord cette nouvelle version vient très tôt (trop tôt ?), après la dernière mouture de la BBC, diffusée en 2006 et riche de 4 épisodes - qui comporte pour sa part de très bons éléments, mais aussi de quelques notables déceptions, mais ce n'est pas notre sujet. Au vu du nombre d'adaptations existantes du roman, on pouvait résolument se demander ce que le réalisateur et la scénariste auraient encore à se mettre sous la dent... Contre toute attente, ils ont effectivement trouver une nouvelle manière de surprendre le spectateur et l'admirateur le plus fervent, mais en suscitant en même temps une grande part de réserve. Ce dernier point demande quelques explications. La scénariste est parvenue à prendre l'histoire à contre-pied, en imposant une narration en flashbacks. Cela a le don de surprendre, certes, mais aussi de déconcerter. Cette manière de présenter l'histoire de Jane Eyre est nouvelle, inédite même, mais on y perd inévitablement quelque chose d'essentiel : l'âme même du roman.
Jane Eyre est une oeuvre d'un grand romantisme, mais sans sentimentalité excessive : son héroïne est intelligente et forte, d'une droiture et d'une moralité inébranlable. C'est une femme amoureuse mais réaliste. Jane Eyre, c'est le roman d'une personnalité en même temps que le récit d'une histoire d'amour. Rochester est la pierre angulaire de cette quasi biographie, dans laquelle Charlotte Brontë a mis beaucoup de son âme et de son expérience personnelle (et malheureuse, il faut bien le dire). Rochester est omniprésent, essentiel, écrasant même, par son caractère impétueux, ses manières brutales, qui sort Jane de son mutisme, de sa réserve, et réveille enfin cette nature passionnée, éteinte depuis l'enfance.
Le film a égaré finalement par sa structure, ces éléments qui faisaient le charme indéniable de l'oeuvre. Construit à l'envers, le récit de Jane se dévoile immédiatement sous son jour le plus dramatique, quand ses espoirs ont été bafoués, ses désirs perdus. Le spectateur appréhende l'histoire à rebours, et l'on y perdrait presque de vue le romantisme écrasant d'origine.
Le film en devient pratiquement intimiste, le tout renforcé par une bande originale pratiquement inexistante, ou par des musiques si discrètes et si éteintes, que l'on a quelquefois une singulière impression d'enfermement ou de neurasthénie... Cette version présente une vision donc très personnelle de l'oeuvre, mais certainement pas universelle. Cette manière de faire peut être appréciable lorsque l'on connaît suffisamment bien l'histoire pour en connaître tous les ressorts, mais certainement pas dans une première approche.
Venons-en à Rochester, personnage pourtant fondamental, qui ici se retrouve presque relégué à la seconde place. Alors, bien entendu, il serait malhonnête de dire qu'il n'y a aucun romantisme, aucune dynamique entre les deux acteurs. Mia Wasikowska offre une prestation honorable, mais un peu terne et monocorde (même si j'accorde qu'il y a pire en la matière). Sa relation, tendre et maternelle avec Adèle, a quelque chose d'inédit et de sublime, qui ne peut qu'emporter l'adhésion du spectateur. Quant à Michael Fassbender, malgré un talent indéniable lorsqu'il s'agit d'interpréter des personnalités instables, se retrouve éclipsé par le récit intimiste de Jane. La scène la plus marquante, et la plus réussie dans son esthétisme, dans son aspect dramatique, est celle des explications, des supplications, des menaces, de Rochester. Il y a une puissance dramatique, très intense, dans cette scène, qui tirerait presque des larmes. (Car je trouve décidément que rien ne peut égaler les larmes du Rochester de Timothy Dalton en 1983, qui monologue d'un trait et sans coupures pendant les 10 minutes que durent le texte original...)
D'autre part, il est difficile de percevoir les éléments gothiques tels qu'ils avaient été annoncés. A vrai dire, je n'en ai rien vu, et j'ignore encore dans quelles scènes exactement cet aspect est davantage mis en avant que dans les adaptations précédentes (mis à part peut-être dans la scène de la chambre rouge, quoique). Mais cela n'est finalement pas très important, puisque l'ambiance si particulière de cette adaptation vient surtout de l'esthétisme léché de ses images, du soin apporté à chaque séquence, à chaque plan sur la lande, sur la campagne désolée, sur les collines enneigées. Peu d'adaptations de Jane Eyre ont laissé une si belle place aux images, et le film vaut principalement ses éloges à cet aspect tour à tour charmant ou inquiétant de son cadre.
D'ailleurs, je ne résiste pas à poster cette image de la lande sous la neige, et de la maison que Jane occupe depuis sa fuite de Thonrfield... Décor qui vaudra au personnage quelques rêveries du plus bel effet... Scène qui est également d'une très belle facture, et qui réveillera inéluctablement les coeurs romantiques... ^_^