19 novembre 2014

Et si on allait à l'opéra (4/...) : Carmen (Opernhaus Zürich 2013) - Hamlet (Barcelone 2004)

Carmen,  de Georges Bizet (Opernhaus Zürich - 2013) - avec Vesselina Kasarova, Jonas Kaufmann.

Pitié. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit lorsque je repense à cette version de Carmen, sortie il y a quelques semaines. Georges Bizet n'aurait certainement jamais pensé que l'on pouvait faire de son opéra quelque chose d'aussi grotesque. Vraiment. La mise en scène, si elle se veut moderne, est surtout d'un incroyable mauvais goût, et c'est peu dire. Je suis en général assez bon public, et certaines réalisations aux décors post-apocalyptiques passent parfois, envers et contre tout, assez bien. Mais là, décidément; non. La scène vide, uniquement composée d'un fond bleu et d'un plateau aux impressions glaciales, est bien éloignée de la moiteur et de la chaleur empesée des canicules espagnoles, et les acteurs, il faut le reconnaître, ne s'en accommodent guère. Mis à part Kaufmann, qui fait toujours ce qu'il peut, même dans un cadre minimaliste, grâce à cette voix sublime qui ne faillit jamais, n'est pas aussi bouleversant qu'on le voudrait. Grand spécialiste des personnages aux prises avec leurs frustrations et leurs délires névrotiques, malgré un effort visible pour être pris au sérieux, ne trouve aucun réelle grandeur, tant son Don José pitoyable à voir, a été malmené par le metteur-en-scène. Quant aux les autres chanteurs, dont Vesselina Kasarova dans le rôle de Carmen, osons le dire, on se demande bien ce que Don José peut bien lui trouver, avec ses allures de matrone acariâtre...et puis, la voix, tout comme le jeu, n'est pas au rendez-vous. Vraiment, je vous le dis : il faut des nerfs d'acier pour visionner cette version ouvertement clinique et explicite de Carmen sans émettre de rires nerveux. Exploit auquel je ne suis pas parvenue... Pour la finesse, décidément, on repassera.

Hamlet, d'Ambroise Thomas (Gran Teatre del Liceu - Barcelone 2004), avec Natalie Dessay, Simon Keenlyside et Béatrice Uria-Monzon.

L'opéra français m'intrigue. Et c'est dans cet esprit que j'ai entrepris le visionnage de cette version d'Hamlet d'Ambroise Thomas. Et puis aussi un peu (beaucoup) à cause de sa distribution. Keenlyside est avec Thomas Hampson le baryton que j'apprécie le plus, parce qu'il chante aussi bien qu'il ne joue, malgré un répertoire parfois difficile d'accès (Britten, Adès,...). Quant à Natalie Dessay, elle excelle réellement dans tout ce qu'elle entreprend sur une scène d'opéra, et particulièrement dans les scènes de folie, devenues emblématiques dans la palette de ses rôles, de Lucia di Lamermoor à son rôle d'Ophélie. Alors, certes, cet opéra, hors sa scène de folie, jouée et chantée divinement par Dessay, ne comporte pas réellement de grands airs, et l'oeuvre est très encombrée de nombreuses scènes de récitatifs qui la rendent très hermétique. D'autre part, la mise en scène dépouillée, les costumes informes et pas toujours très flatteurs mettent parfois un peu mal à l'aise. La pièce de Shakespeare en elle-même étant déjà un oeuvre très asphyxiante, le spectateur n'est réellement pas aidé. Il faut tout de même préciser que l'adaptation en opéra a été nettement édulcorée par rapport à l'oeuvre originale, ce qui parvient à rendre le personnage d'Hamlet légèrement moins contestable, sans que cela lui ôte toutefois sa velléité légendaire. Cette version, même si elle ne m'a pas séduite entièrement, est certainement incontournable pour la prestation extraordinaire de Natalie Dessay, et pour les scènes de délire et de rage d'Hamlet interprétée par Keenlyside, tout aussi époustouflante vocalement que scéniquement.





11 novembre 2014

L'amour dans l'âme, de Daphné du Maurier

Autrefois paru sous le titre "La chaîne d'amour", ce roman de jeunesse de Daphné du Maurier retrace l'histoire de quatre générations d'une famille de Cornouailles, armateurs ou marins, depuis la mère, Janet, jeune femme éprise de liberté, amoureuse de la mer et de ses tourmentes, jusqu'à son arrière-petite-fille, Jennifer.

Dans ce roman on retrouve les thèmes chers à la grande romancière anglaise. La mer, les bateaux, les passions humaines, les vengeances et les frustrations s'y déchaînent, comme le vent des tempêtes. 

Il y a un souffle dramatique indéniable dans ce roman, se situant quelque part entre l'inspiration fantastique de La Maison sur le Rivage et l'agitation romanesque de La crique du Français. On y croise cette galerie de personnages caractéristiques, qui par la suite, a constitué la grande force des romans de Du Maurier, les femmes indépendantes et fortes, les hommes téméraires bien éloignés de l'image archétypale des héros classiques, tous et toutes à la fois tourmentés et frustrés par la dichotomie qui s'opère invariablement entre leurs aspirations d'un moment et les contraintes de toute une vie. 

Lorsqu'on lit Du Maurier, on a toujours cette terrible impression de lire parfois un récit épisodiquement romanesque, tout en étant persuadé que l'on sera encore et toujours ramené aux limites imposées par la vie, par ses aléas, par cette volonté toute-puissante d'un destin souvent contraire, par le carcan d'un monde trop étroit. Encore et toujours, le lecteur se trouve confronté à ses propres frustrations, à travers le récit de ces quatre générations d'hommes et de femmes à la fois passionnés et déçus. 
On sent également à quel point l'auteur était attachée aux personnages classiques qui l'ont inspirée à travers toute son oeuvre, de Shakespeare aux Brontë, en passant par Byron, on ne peut nier la ressemblance criante entre le capitaine Joseph Coombe de L'amour dans l'âme et son frère Philip, aux "frères" ennemis Heathcliff et Hindley des Hauts de Hurlevent. Les personnages masculins chez Du Maurier, sont tout aussi forts, écrasants, voire toxiques, que chez les Brontë, à la différence qu'ils ont face à eux, cette fois, des femmes qui leur tiennent merveilleusement tête, et qui parviennent à donner le ton d'un féminisme rare, dépoussiéré, sans jamais tomber dans le manichéisme. 

La chaîne d'amour n'est sans doute pas le plus grand roman de l'auteur, à l'instar de Rebecca ou de l'Auberge de la Jamaïque, mais il annonce certainement les meilleurs thèmes de son oeuvre !

06 novembre 2014

Les petits meurtres d'Agatha Christie - saison 2

Source : www.france2.fr
Avec Samuel Labarthe (Le commissaire Swan Laurence), Blandine Bellavoir (Alice Avril), Elodie Frenck (Marlène).

Série policière (2013-2014), réalisée par Eric Woreth pour France 2.

Episodes du premier coffret :
Jeux de glaces
Meurtre au champagne
Témoin muet
Pourquoi pas Martin ?
Meurtre à la kermesse
Cartes sur table

D'après les romans d'Agathe Christie.

***

On a toujours tort de rester camper sur ses idées : cette charmante série made in France en est la preuve vivante. Expliquons-nous : malgré le succès incontestable de la première saison de la série des "Petits Meurtres", avec Antoine Duléry et Marius Colucci, j'étais sceptique. Tellement sceptique d'ailleurs que je n'ai regardé aucun épisode lors de leur première diffusion en 2013. L'idée même que l'on puisse transposer l'univers d'Agatha Christie en France me paraissait un peu déplacée, sans trop savoir pourquoi. Ou plutôt si, je savais très bien pourquoi. Disons que les séries britanniques ont un charme bien à elles qu'il est très difficile d'égaler, et que j'ai regardé tant d'enquêtes dans la pure veine british des Miss Marple et autres Hercule Poirot que la peur de voir dénaturer l'ensemble me paraissait tout à fait fondée. Ce n'est finalement qu'en tombant par hasard sur un épisode de la saison 2 il y a quelques semaines, et en lui accordant un minimum d'attention, que j'ai vraiment eu l'impression d'avoir raté quelque chose.  

Nouvelle époque, nouveau genre.

















Le duo Larosière/Lampion de la première saison fait place cette fois à un duo, puis un trio, composé de l'imbuvable et cynique commissaire Laurence, de la piquante journaliste Alice Avril, et par la blonde secrétaire du commissaire, Marlène, le tout nimbé d'une ambiance très vintage (pour employer un adjectif très à la mode) qui fleure bon la fin des fifties. Quand on s'y attarde un peu, on se rend rapidement compte que premièrement, les scénarios sont soignés, et les dialogues très bien écrits. Alors certes, on pourra reprocher sans doute que les récits sont finalement assez éloignés des oeuvres originales de la romancière,  pour ne garder que la trame, et c'est sans doute mieux ainsi. A changement d'époque, changement de style : le trio de protagonistes étant inédit, il aurait été compliqué de n'en pas modifier la forme. Le résultat est un mélange subtil et bien mené d'intrigue policière et d'humour à froid, que ne renieraient pas les meilleures séries anglaises.
Au vu des caractères très opposés du duo Laurence/Avril, on assiste à pas mal de scènes hautement jubilatoires, ce qui confère à l'ensemble le ton piquant qui lui est propre et qui dédramatise merveilleusement le contexte des enquêtes, tantôt sordides, tantôt lugubres. Le fameux commissaire, campé par Samuel Labarthe de la Comédie-Française, est un personnage comme on adore les détester : sorte de Sherlock Holmes mâtiné d'un Don Draper, dandy arrogant, désagréable, misogyne, et rigide, il m'a paru tout droit inspiré du personnage de Devlin, incarné par Cary Grant dans le Notorious d'Alfred Hitchcock. Il en a en tout cas la grâce et le détachement hautain. Personnage délicieusement cynique et blessant, il possède une très haute opinion de lui-même qui n'est pas sans rappeler l'Hercule Poirot de l'incontournable David Suchet.

Source : www.france2.fr


























Blandine Bellavoir (que le téléspectateur n'aura pas manqué de voir dans d'autres séries, comme Plus belle la vie ou plus récemment dans Maison Close, diffusée sur Canal), contre toute attente, campe un personnage en même temps si casse-pieds et si attachant, jouant au chien fidèle avec tout de même une bonne dose de sans-gêne, tellement en décalage avec le personnage de Laurence, que l'on applaudit des deux mains, car ce déséquilibre fonctionne à merveille, sans pour autant tomber dans un rapport de dominant/dominé qui aurait été prévisible, et sans doute désastreux. Si la journaliste Alice Avril n'a en charge que le courrier du coeur dans le journal où elle officie, elle cherche et veut trouver sa place dans un société et un milieu machiste, et c'est ce qu'il y a d'honorable et de beau chez elle, malgré un don inné et véritablement agaçant pour s'attirer les ennuis. Et ce n'est pas en suivant le commissaire sur ses enquêtes dans l'espoir d'apporter des articles à sensations à son journal, qu'elle aura la vie facile... Mais force est de reconnaître qu'elle lui est très utile, même si lui, du haut de son arrogance, ne l'admettra jamais. On pense même voir se développer, au fil des épisodes, une sorte d'attachement improbable sous les propos acides, sans que cela ne glisse jamais dans la facilité. La barrière entre les deux mondes, celui franchouillard de la journaliste, et l'autre rigide et bourgeois du commissaire, est toujours maintenu au bon endroit, et c'est tant mieux.


























Quant à Elodie Frenck, interprétant la délicieuse Marlène, gentille cruche amoureuse de son patron, archétype de la femme fatale avec un coeur d'artichaud, on aime la voir battre des cils tout en embrassant le local de son poisson rouge, et prendre en sténo les dépositions des suspects de manière très aléatoire, avec beaucoup de plaisir. C'est un personnage frais, spontané, drôle sans trop le vouloir, qui met un peu de douceur dans les relations toujours très tendues des deux principaux personnages. 

Bref, on ne peut être que charmé par cette série, toujours en cours de diffusion sur France 2. Pour les intéressés, le premier coffret dvd de la saison, regroupant les six premiers épisodes est d'ores et déjà disponible partout. Je pense m'intéresser maintenant sérieusement à la saison 1...