24 mars 2015

Dom Juan, de Marcel Bluwal (1965)


Téléfilm réalisé par Marcel Bluwal (1965), avec Michel Piccoli, Claude Brasseur, Anouk Ferjac.

D'après la pièce de Molière.

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Le personnage de Don Juan, mythe incontournable du séducteur abject, sans âme et sans morale, est une icône de la littérature et de l'art lyrique. De Tirso de Molina à Molière, en passant par Lorenzo Da Ponte, auteur du livret pour l’opéra de Mozart, ce personnage a toujours troublé, fasciné les consciences. De nombreux auteurs se sont risqués à la réécriture de la légende, offrant une vision tantôt plus humaine, tantôt plus grotesque du personnage original. On compte ainsi parmi ses avatars, outre les plus connus, plusieurs pièces anciennes (Villers, Dorimon), ainsi que quelques références aux trames de la Commedia dell'arte, sans compter, et de manière non exhaustive, une nouvelle de Prosper Mérimée (Les Âmes du Purgatoires), une pièce de Michel de Ghelderode, et une autre encore d'Edmond Rostand, "La dernière nuit de Don Juan", qui débute là où l'histoire de Molière s'arrête, et et l'on pourrait en citer ainsi presque des dizaines... Force est de constater que le personnage demeure encore et toujours, malgré d'innombrables tentatives pour le cerner, une parfaite énigme. Contestable, insaisissable, Dom Juan n’est pas le personnage manichéen que l’on imagine : il n’est pas uniquement le bellâtre qui s’empresse derrière le moindre jupon, il n’est pas, disons-le, seulement l’archétype du salaud que l’imaginaire collectif circule depuis des siècles… Si être un « Don Juan » n’est pas un qualificatif très flatteur, avouons que si on s’efforce d’en donner une définition exacte, on aura tendance à s’égarer dans un dédale d’explications aléatoires. 

Mais qui est-il au juste ? Un libertin, voilà une chose certaine. Dom Juan est un libre penseur, contestant avant tout les dogmes établis, et qui renie l'autorité de la religion et de Dieu. C'est en tout cas la vocation que Molière lui a attribué de manière certaine, et on comprend d'ailleurs très bien que la pièce ait pu égratigner les oreilles les plus dévotes de la cour du Roi Soleil, et que la pièce fut interdite de représentations pendant plusieurs années. Cet aspect du personnage ne s'est d'ailleurs depuis lors, guère démenti, s'éloignant de manière radicale du caractère caricatural de ses origines. Il est d'ailleurs repris de manière prédominante avec brio dans l'adaptation de Marcel Bluwal, dont il sera question dans cet article. 



J'avais un lourd contentieux avec cette version de la pièce de Molière, vue très jeune, que je n'avais pas comprise et qui m'avait littéralement terrifiée (je devais avoir dans les 7 ans, ce qui explique beaucoup de choses quant à l'interprétation que j'avais pu en faire...) ! Je l'avais donc rejetée en bloc, en ayant gardé un souvenir plutôt impressionné, sans trop vouloir m'y intéresser à nouveau en grandissant. Comme quoi, les terreurs d'enfance ont la vie dure...
En noir et blanc, très expressionniste, cette version est avant tout sinistre, comme l'est à juste titre le personnage principal, incarné si magnifiquement par Michel Piccoli. Lorsqu'on lit la pièce de Molière, rangée dans le rayon des comédies, il apparaît assez rapidement que si l'on rit de bon coeur devant les facéties et la rhétorique toute personnelle de Sganarelle, Dom Juan, lui, reste un personnage d'un extrême cynisme. Incroyant, impie, impertinent, volage, le personnage s'amuse d'autrui, comme il s'amuse de la morale. Il se moque autant des croyances populaires que de Dieu, ou même du Diable, et ne craint ni l'autorité de son père, ni celle du Ciel, et encore moins les menaces d'un potentiel enfer. Piccoli, lugubre, menaçant, incarne un personnage qui semble avoir des comptes à régler avec Dieu, et qui s'empresserait presque de hâter sa propre fin, en poussant à bout la patience et la miséricorde du Ciel. Il semble que ce Dom Juan se dirige tout droit vers sa mort, et qu'il le sait. Ce n'est pas les vaines mises en garde d'un Sganarelle, campé par le magnifique et désinvolte Claude Brasseur, qui changeront ses plans, presque conçus à dessein pour précipiter un châtiment qui a toujours tardé à venir.



On peut noter également, que si Dom Juan est considéré à juste titre comme un Lovelace, on ne voit finalement que très peu le personnage dans des manoeuvres de séduction au sein même de la pièce. Une seule scène y est consacrée, lorsque celui-ci est confrontée à Charlotte et Mathurine, qu'il a toutes deux séduites, ainsi que par le retour de son épouse (ou en tout cas de l'une d'entre elles !), Dona Elvire, qui tente de le convaincre de revenir vers elle. Dom Juan a a priori d'autres choses en tête, et il tâche plus de se dépêtrer des filets de ces femmes que de s'y jeter. Chose étrange que de ne jamais réellement constater la lâcheté méprisable du séducteur vis-à-vis des femmes, mais aussi de ce pouvoir qu'on pourrait croire presque irrésistible si l'on en croit le mythe... Mais ce qui importe n'est peut-être pas là, puisque le Dom Juan de Piccoli va droit vers son châtiment sans cette suprême impertinence qu'on le voit manifester envers les hommes. 


Lorsque vient la scène finale, où il fait face à la statue du Commandeur, Dom Juan a eu plusieurs fois l'occasion de se repentir, grâce aux interventions successives de son père, Dom Luis, ou de Done Elvire. Dom Juan refuse avec autant de résolution l'expiation de ses fautes, qu'il n'accepte sa mort et sa punition. Sans doute n'a-t-il eu jamais l'occasion de voir sa foi dans le matérialisme à ce point ébranlée... Le fait d'aller au-devant d'un châtiment si extraordinaire est-il une manière de braver une nouvelle fois les croyances, la morale ? C'est ce que l'on peut se permettre de méditer à la fin de cette version, qui si elle accuse parfois un peu son âge, n'en demeure pas moins une adaptation de référence absolue !  

Tourné exclusivement en décors naturels, d'une froide majesté, cette version de la pièce, volontairement intemporelle, est un régal pour les yeux comme pour les oreilles. Le jeu toujours juste de Picolli, tantôt glacial et menaçant, tantôt arrogant et irrévérencieux, servi par une bande-son divine basée sur le Requiem de Mozart, ne peut que plaire aux plus réfractaires de l'oeuvre de Molière.




"Si le Ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il veut que je l'entende !"

Questionnaire littéraire (TAG)

Une fois n'est pas coutume, voici un sympathique tag repris sur le blog Espace en Claire-Obscure... Je m'y colle joyeusement !



Le premier livre dont vous vous souveniez ?

Petite, j'étais une lectrice assidue de BD, et je serais incapable de citer la première dont je me souvienne. Par contre, mon tout premier roman doit être "Poly", de Cécile Aubry.

Le dernier livre que vous ayez lu ?

"Père", d'Elizabeth von Arnim, et je suis en train de lire "La bienfaitrice", du même auteur. Et également une analyse du Dom Juan de Molière.

Le prochain livre que vous lirez ?

"Shutter Island", de Dennis Lehane, qui est sur ma pile de livres à lire depuis des mois... Le prochain, c'est celui-là, et je m'y mets sérieusement !

L'auteur dont vous avez lu le plus de titres ?

J'hésite entre quatre : Shakespeare, Arthur Conan Doyle, Gaston Leroux et Jane Austen. Mais je pense sans conteste, que Gaston Leroux remporte vraiment la palme.



L'auteur classique qui manque à votre culture ?

Je n'ai jamais osé me frotter aux romans de Thomas Hardy, hormis l'une ou l'autre nouvelle. Même si j'avoue que "Loin de la foule déchaînée" me tente bien depuis que l'on annonce la sortie d'une adaptation ciné avec Matthias Schoenaerts, dans le courant des mois d'avril-mai.



Vos auteurs préférés ?

Arthur Conan Doyle, Victor Hugo, Gaston Leroux, Charlotte Brontë, Daphné du Maurier, Shakespeare, Albert Camus. Charles Dickens. Elizabeth Gaskell, Goethe, Claudel et sans doute beaucoup d'autres que j'oublie...

Les auteurs qui vous agacent ?

Guillaume Musso, Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq.

Votre recueil de poésie préféré ?

Encore une fois, il y en a plusieurs ! "Les méditations poétiques" d'Alphonse de Lamartine, "Les poèmes barbares" de Charles Leconte de Lisle,  et "Les amours" de Ronsard.

Votre pièce de théâtre préférée ?

Sans conteste, "Hamlet" de William Shakespeare.



Votre roman préféré ?

Mon dieu ! Je suis sensée faire un choix qui tienne sur une seule ligne ??? Si parmi les auteurs que je préfère, j'en retiens seulement un pour chacun d'eux, je dirais "Notre-Dame de Paris", "Le fantôme de l'opéra", "Le Chien des Baskerville", "Rebecca", "Jane Eyre", "Les souffrances du jeune Werther", "La peste"...

Votre nouvelle préférée ?

Vraiment sans doute aucun, "La morte amoureuse", de Théophile Gautier.



Le livre que vous donnez le plus souvent à vos amis ?

Très souvent, des Daphné du Maurier... de "Rebecca", à "L'auberge de la Jamaïque", en passant par "La crique du Français".

Votre éditeur/collection préféré(e) ?

Folio classique, les éditions 10-18, et la collection Bouquins.

Le personnage que vous souhaiteriez être ?

Là aussi, il va être très difficile de répondre...Il s'agit bien souvent de personnages masculins, et pas toujours très recommandables de surcroît ! Etre Sherlock Holmes me plairait assez, tout comme le personnage très en demi-teinte de Prospero dans La Tempête, de Shakespeare...



Le personnage qui vous répugne le plus ?

Me vient en tête directement le personnage de Norman dans "Rose Madder" de Stephen King. Un flic violent, fou dangereux, qui donnerait des cauchemars à n'importe qui.

Votre genre littéraire préféré ?

Le roman, dans son sens large (aventure, gothique, policier, romantique, historique), ainsi qu'un peu de littérature jeunesse, et le théâtre.

Qui je tague ?

Celui ou celle qui le souhaite ;)

08 mars 2015

Père, d'Elizabeth von Arnim

Jennifer a trente-trois ans, et s'est toujours occupée de Père, éminent écrivain anglais, veuf depuis des années... A la fois sa secrétaire, sa garde-malade, sa gouvernante, Jennifer n'a jamais vu du monde que les quatre murs de leur austère maison de Gower Street. Lorsqu'un beau matin, Père lui annonce qu'il s'est remarié, la jeune femme voit enfin une occasion de quitter la maison et de vivre enfin sa vie comme elle l'entend. Jennifer se rend à la campagne et y loue un cottage à un timide pasteur, dont l'existence semble régentée par une soeur acariâtre et revêche... 

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Quelle magnifique découverte que ce roman, et que cet auteur, Elizabeth von Arnim, que je ne connaissais guère avant de lire cette oeuvre tout à fait délicieuse. 

A la lecture du quatrième de couverture, et à l'illustration de la jaquette, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs, je m'imaginais être face à un roman d'une veine réaliste et dépressive, à la mesure d'une oeuvre d'Edith Wharton ou de Virginia Woolf, et j'y allai donc à reculons... Mais il n'en est rien. En digne héritière de l'ironie austenienne, Elizabeth von Arnim sait manier l'élégance autant qu'un humour très moderne, dont on s'étonne à plusieurs reprises au cours de la lecture. "Père" est un roman à la fois, effectivement, réaliste et éclairé sur la condition et de la place de la femme dans la société du début du XXe siècle, mais finalement aussi très piquant, et très décomplexé. L'auteur y parle, sous couvert d'un humour délicieusement actuel, du rapport de la femme au sacrifice de ses aspirations et de sa personnalité, sur l'autel du mariage, de la famille, ou encore de celui, plus vaste et plus impersonnel, de la société. On voit cette jeune femme, Jennifer, d'abord oisillon apeuré dans l'ombre d'un père d'un égoïsme tyrannique, s'émanciper ensuite avec une énergie extraordinaire, quitte à susciter des interrogations et surtout des inquiétudes partout autour d'elle. Lorsqu'elle fait la rencontre de James, le pasteur qui lui a loué, fortuitement il faut le dire, le cottage où elle décide de commencer une nouvelle vie, Jennifer se sent tout à coup l'âme intrépide. Fraîchement affranchie de plusieurs années de servitude auprès de Père, Jennifer décide de tirer le pasteur des griffes de sa soeur, sorte de mégère acrimonieuse et hautaine, qui n'a apparemment d'autre but dans l'existence que d'opprimer le pauvre James... Mais Jennifer, malgré ses belles résolutions, est-elle réellement libérée de l'emprise de Père ? On peut se permettre d'en douter...

Alors que l'on pourrait s'attendre à un dénouement ordinaire et convenu, Elizabeth von Arnim surprend encore, sur le ton d'un délicieux humour noir. Un roman surprenant et drôle, féministe et moderne, qu'il faut lire absolument !

Note : A noter, les très (trop !) nombreuses fautes de frappe dans l'édition archipoche !