08 février 2016

Dracula, de Tod Browning (1931)

Dracula, de Tod Browning (1931), avec Bela Lugosi (le comte Dracula), Helen Chandler (Mina), David Manners (John Harker), Dwight Frye (Renfield), Edward Van Sloan (Van Helsing), ...

Je ne ferai pas l'affront aux lecteurs de ce blog de leur imposer un résumé de Dracula, qui de par son statut mythique, n'en a sans doute guère besoin. Quoique. Il serait sans doute permis de se poser la question sur l'utilité de présenter Dracula, "le vrai", issu du roman foisonnant et, n'ayons pas peur de le dire, légendaire de Bram Stoker, écrit en 1897. Comme bon nombre d'oeuvres et personnages ayant atteint un tel rang dans l'imaginaire collectif, on ne peut que déplorer que l'un comme l'autre ont été extrêmement galvaudés. Loin d'être une spécialiste du sujet, je ne me permettrai pas de m'aventurer davantage sur ce terrain mouvant, n'ayant qu'une connaissance limitée du personnage et de son univers. Je n'ai aucun goût pour la littérature vampirique, et je n'ai d'ailleurs jamais réussi à lire le roman de Bram Stoker jusqu'au bout (même si je reconnais qu'à y réfléchir, je devrais vraiment remédier à cela). Dans cet article, il ne sera donc pas question de se positionner par rapport à cette difficile question de l'adaptation et de sa fidélité, même si de prime abord, et malgré le peu qu'un spectateur lambda puisse en connaître, on peut très bien se rendre compte que cette adaptation en particulier a réellement passé l'histoire originale à la moulinette. Elle reste cependant une curiosité, non seulement pour son interprète principal qu'on ne présente plus, Bela Lugosi, par le simple fait également que ce film est la première version parlante de l'oeuvre de Stoker, et la première aussi à montrer un Dracula infiniment plus inquiétant, plus dangereux, plus menaçant aussi que ses prédécesseurs, parce qu'il ne présente tout simplement pas physiquement un monstre. Ce Dracula, au contraire du Nosferatu de Murnau, a la distinction et les manières d'un gentleman et infiltre avec aisance la bonne société anglaise. Il fascine, il envoûte par son charme néfaste, avant de mettre tous ceux qu'il approche sous son emprise délétère.

Dracula (Bela Lugosi) et Mina (Helen Chandler)

Dans ce film se situant à l'aube d'un cinéma parlant encore à ses balbutiements, pas de bande originale, ou presque, si on excepte un extrait du Lac des Cygnes de Tchaïkovsky à l'ouverture. Toute l'ambiance du film repose justement sur une absence de fond sonore, qui se révèle finalement très efficace, et qui nous rappelle que le cinéma muet n'était alors pas très loin. Quant à la réalisation, elle n'a rien à envier aux expressionnistes allemands, composée de jeux en clairs-obscurs et d'accentuations de regards, prompts à faire frémir. Il y a un certain génie dans la mise en image, dans les décors, et dans l'absence criante et pourtant très intelligente d'effets spéciaux. Un peu de brume, et l'obscurité à elles seules pour instiller la terreur : cela fonctionne encore diaboliquement bien. Mais ne nous voilons pas la face, ce film, avec ses interprétations surdramatisées, ne peut plus réellement susciter le frisson chez des spectateurs aguerris à la foule d'atrocités que l'on voit fleurir sur les écrans modernes. Mais le malaise reste là, persistant, de même que ce souffle glacial qui semble tout droit descendre des méandres montagneux du col de Borgo.    


Ensuite, comment demeurer de marbre devant le regard pénétrant du Dracula de Bela Lugosi, de sa gestuelle, certes un peu désuète, mais ô combien inquiétante, qui a marqué son époque et le mythe en lui-même ? On peut toujours s'étonner également de ne jamais voir au cours de ce film relativement bref (un peu plus d'une heure dix), ni morsure, ni incisives démesurément longues, ni même une seule goutte de sang versée (le comble, tout de même pour un film de ce registre !)... Tout s'y déroule dans la suggestion. Et c'est cette absence d'images, au même titre que l'absence de musique, qui confère cet aspect à la fois asphyxiant et inquiétant au film. 

C'est en ces aspects que cette version passée au statut d'oeuvre incontournable du cinéma, et pas seulement du cinéma de genre, se doit encore d'être vue. Certes, on frissonne encore, même si on regrette que les personnages et la trame aient été autant malmenés, et on regarde cela coin du feu, toute lampe éteinte avec un délicieux frisson...



EDIT : et puisque nous sommes dans la veine vampirique, j'en profite pour attirer votre attention sur ce splendide Concert-Fiction, produit et diffusé sur France Culture :

Concert-Fiction : Dracula

Ecoutez, vous ne serez pas déçus ! Il s'agit d'une libre adaptation de Stéphane Michaka, avec notamment Maud Le Grevellec et le merveilleux Feodor Atkine, dans les rôles respectifs de Mina et Dracula.