Avant d'être Dracula, Lugosi a interprété... Jésus sur les scènes hongroises... |
Il passe quelques temps en Allemagne, où il tournera quelques films sous le nom d'Arisztid Olt, avant de partir pour les Etats-Unis en 1920. Il intègre là-bas une troupe d'immigrés hongrois, avec laquelle il part régulièrement en tournée avant de se fixer à New-York, où on lui proposera en 1922 de jouer sa première pièce en anglais. Jusqu'ici, le comédien n'avait interprété que des rôles en hongrois, et il maîtrise d'ailleurs si peu la langue qu'il apprend son premier rôle entièrement en phonétique... Il enchaînera ensuite plusieurs pièces à Broadway jusqu'en 1926, en alternance avec les tournages de quelques films muets comme The Midnight Girl.
Dans The Midnight Girl, l'acteur campe un directeur de théâtre plutôt mal intentionné, mais diablement charismatique |
L'année 1927, à l'âge de de quarante-cinq ans, l'acteur, qui a pris le nom de Lugosi en hommage à sa ville natale, va connaître un immense tournant dans sa carrière. C'est cette année-là qu'on lui propose pour la première fois de jouer le rôle du comte Dracula au théâtre. Il enchaînera des centaines de représentations de cette pièce à la renommée grandissante, dont on parle jusqu'à Hollywood... Son magnétisme écrasant, son allure aristocratique, jusqu'à ses propres origines, tout le destinait à ce rôle, semble-t-il, taillé sur-mesure.
A Broadway, Lugosi campe Dracula pour la première fois en 1927, ici aux côtés de son compère Edward von Sloane, interprète de Van Helsing sur scène, mais aussi dans le film de Tod Browning. |
Lorsque Tod Browning, des studios Universal, se met à la recherche du rôle-titre pour réaliser la première réelle adaptation du Dracula de Stoker, on comprend aisément qu'il se soit intéressé à Lugosi. Le film connaîtra le succès que l'on sait, et Lugosi passera au véritable statut d'icône. L'acteur racontera souvent en plaisantant, qu'il recevait plus de courrier de fans à Universal que Clark Gable...
Magnétique et inquiétant Dracula... |
Seulement, il y a un revers à la médaille : ce qu'il appela plus tard "Dracula's curse". A partir de 1931, son nom est associé irrémédiablement à celui du rôle, et il se retrouve alors catégorisé dans des films de genre. Très peu de réalisateurs s'oseront d'ailleurs à lui confier des personnages dans d'autres registres. Son très fort accent hongrois, qu'il est incapable de perdre, ne lui rend d'ailleurs pas service. Il ne jouera quasiment plus désormais que des assassins, des psychopathes, des monstres et des savants fous, mais Lugosi, malgré sa frustration, demeure envers et contre-tout, professionnel jusqu'au bout des doigts, même lorsqu'on lui fera jouer d'innommables navets. Dans l'impressionnant volume de films tournés, qu'il alterne avec un peu de théâtre (dont le rôle de Dracula, qu'il reprend en tournée dans les années quarante), quelques réalisations sortiront néanmoins du lot, notamment celles où il partage l'affiche avec l'autre icône du film d'horreur de la Universal, Boris Karloff. Les deux hommes s'accordent à merveille à l'écran, et beaucoup de films sympathiques sortiront de cette précieuse collaboration. On pensera notamment aux magnifiques "The Black Cat" (1934) ou "The Raven" (1935), tous deux inspirés de l'univers de Poe. Seul, Lugosi, tournera aussi "White Zombie" en 1932, film quasiment expressionniste et extrêmement oppressant, qui est devenu un classique du genre.
En médecin génial et mégalo dans The Raven (1935)... |
...en scientifique vengeur face à un Boris Karloff psychopathe dans "The Black Cat"... |
... et en meneur de zombies, en 1932, dans "The White Zombie" |
En dehors des plateaux, malgré cinq mariages dont certains furent assez houleux, Lugosi se révèle être un homme charmant, quoique quelque peu fantasque (mais quel acteur ne l'est pas...) totalement à l'opposé des rôles qu'on a l'habitude de lui confier. En dépit de ses revers cinématographiques, il demeure bizarrement très attaché au personnage qui l'a fait connaître : il conserve une grande collection de capes et de costumes du comte, et s'amuse avec son fils à "jouer à Dracula" pendant des heures... Cette gestuelle, devenue mythique, fut d'ailleurs la directe source d'inspiration des studios Disney, lorsqu'ils réalisent en 1940 l'animation d'Une nuit sur le mont chauve pour Fantasia.
Mais Lugosi n'est pas totalement exempt de certains démons personnels. Ses anciennes blessures de guerre le feront souffrir toute sa vie, se faisant prescrire à tours de bras des injections de morphine et de méthadone dont il finira par devenir dépendant. Il se défera de cette addiction à la fin de sa vie, alors qu'il s'apprêtait à reprendre le chemin des studios aux côtés du réalisateur mythique mais très controversé, Ed Wood. Pratiquement ruiné, Lugosi meurt en 1956 d'une crise cardiaque, à l'âge de 73 ans.
S'engager dans la filmographie de Béla Lugosi, c'est pénétrer dans le monde de l'étrange, passant du chef d'oeuvre à des délires de série Z... On en ressort tantôt éberlué, tantôt surpris, mais jamais complètement indifférent. Dans la moindre de ses interprétations, même les plus étonnantes et les plus décalées, Lugosi reste presque cohérent, délicieusement sérieux, investi en quelque sorte par la pesanteur d'un rôle et d'un personnage à l'aura éternelle, qui fut tout autant une bénédiction qu'une malédiction.
Le démon tapi dans la montagne, déployant ses ailes menaçantes durant la nuit de Walpurgis, a été inspiré par la gestuelle de Lugosi |
Dans "The Invisble Ray"(1936) |
S'engager dans la filmographie de Béla Lugosi, c'est pénétrer dans le monde de l'étrange, passant du chef d'oeuvre à des délires de série Z... On en ressort tantôt éberlué, tantôt surpris, mais jamais complètement indifférent. Dans la moindre de ses interprétations, même les plus étonnantes et les plus décalées, Lugosi reste presque cohérent, délicieusement sérieux, investi en quelque sorte par la pesanteur d'un rôle et d'un personnage à l'aura éternelle, qui fut tout autant une bénédiction qu'une malédiction.
"I have never met a vampire personally, but I don't know what might happen tomorrow"