30 septembre 2016

Béla Lugosi : de l'icône à la légende

Cela fait des semaines, voire des mois que je songe à écrire un article sur Béla Lugosi, l'acteur qui incarna Dracula dans le film de Tod Browning en 1931... Cette fois, c'est décidé, voici un petit article retraçant le parcours de cet acteur fascinant, principal responsable de l'intérêt soudain que je porte au personnage de Stoker ! Son charisme indéniable, jusqu'à ce regard d'un bleu perçant, cette expression de dignité amusée, de mépris distant, de supériorité sublime, ont réellement fait du personnage ce qu'il est aujourd'hui dans l'inconscient collectif. Pour beaucoup, Dracula restera ce gentleman à la déférence glaciale, revêtu d'un habit de soirée, d'une longue cape, les cheveux tirés en arrière, avec sur les traits ce sourire énigmatique et dans les manières cette grâce d'un autre âge... L'acteur a été malheureusement aussi victime de son personnage, qui lui apporta le meilleur autant que le pire dans sa vie d'acteur... Au-delà des légendes assez improbables qui circulent sur son compte, malgré que quelques-uns soient tout à fait véridiques (il est arrivé quelques fois dans un cercueil aux avant-premières de Dracula à la demande de la production, et il s'est fait effectivement inhumé dans l'un de ses costumes de scène), Lugosi a eu une vie et un tempérament tout à fait dignes d'un personnage de roman... L'acteur fascine donc autant que le personnage auquel il demeure irrémédiablement lié.


Béla Ferenc Deszö Blaskò est né à Lugos, située en bordure de la Transylvannie, le 20 octobre 1882, dans une famille de quatre enfants dont il est le cadet. Il quitte l'école assez jeune pour se consacrer à la scène, où il interprétera de nombreux grands rôles du répertoire shakespearien, notamment au sein du théâtre national de Budapest. Lorsqu'éclate la première guerre mondiale, il est enrôlé dans l'infanterie comme simple soldat, jusqu'à être promu au grade de capitaine à la fin du conflit, après avoir subi de très sévères blessures sur le front russe. Au retour de la guerre, et en raison de ses activités politiques durant la révolution hongroise de 1919, Béla se voit contraint de quitter son pays pour échapper à la prison.

Avant d'être Dracula, Lugosi a interprété...
Jésus sur les scènes hongroises...

Il passe quelques temps en Allemagne, où il tournera quelques films sous le nom d'Arisztid Olt, avant de partir pour les Etats-Unis en 1920. Il intègre là-bas une troupe d'immigrés hongrois, avec laquelle il part régulièrement en tournée avant de se fixer à New-York, où on lui proposera en 1922 de jouer sa première pièce en anglais. Jusqu'ici, le comédien n'avait interprété que des rôles en hongrois, et il maîtrise d'ailleurs si peu la langue qu'il apprend son premier rôle entièrement en phonétique... Il enchaînera ensuite plusieurs pièces à Broadway jusqu'en 1926, en alternance avec les tournages de quelques films muets comme The Midnight Girl.

Dans The Midnight Girl, l'acteur campe un directeur de théâtre plutôt mal intentionné,
mais diablement charismatique 

L'année 1927, à l'âge de de quarante-cinq ans, l'acteur, qui a pris le nom de Lugosi en hommage à sa ville natale, va connaître un immense tournant dans sa carrière. C'est cette année-là qu'on lui propose pour la première fois de jouer le rôle du comte Dracula au théâtre. Il enchaînera des centaines de représentations de cette pièce à la renommée grandissante, dont on parle jusqu'à Hollywood... Son magnétisme écrasant, son allure aristocratique, jusqu'à ses propres origines, tout le destinait à ce rôle, semble-t-il, taillé sur-mesure.

A Broadway, Lugosi campe Dracula pour la première fois en 1927,
ici aux côtés de son compère Edward von Sloane, interprète de
Van Helsing sur scène, mais aussi dans le film de Tod Browning.

Lorsque Tod Browning, des studios Universal, se met à la recherche du rôle-titre pour réaliser la première réelle adaptation du Dracula de Stoker, on comprend aisément qu'il se soit intéressé à Lugosi. Le film connaîtra le succès que l'on sait, et Lugosi passera au véritable statut d'icône. L'acteur racontera souvent en plaisantant, qu'il recevait plus de courrier de fans à Universal que Clark Gable...


Magnétique et inquiétant Dracula...

Seulement, il y a un revers à la médaille : ce qu'il appela plus tard "Dracula's curse". A partir de 1931, son nom est associé irrémédiablement à celui du rôle, et il se retrouve alors catégorisé dans des films de genre. Très peu de réalisateurs s'oseront d'ailleurs à lui confier des personnages dans d'autres registres. Son très fort accent hongrois, qu'il est incapable de perdre, ne lui rend d'ailleurs pas service. Il ne jouera quasiment plus désormais que des assassins, des psychopathes, des monstres et des savants fous, mais Lugosi, malgré sa frustration, demeure envers et contre-tout, professionnel jusqu'au bout des doigts, même lorsqu'on lui fera jouer d'innommables navets. Dans l'impressionnant volume de films tournés, qu'il alterne avec un peu de théâtre (dont le rôle de Dracula, qu'il reprend en tournée dans les années quarante), quelques réalisations sortiront néanmoins du lot, notamment celles où il partage l'affiche avec l'autre icône du film d'horreur de la Universal, Boris Karloff. Les deux hommes s'accordent à merveille à l'écran, et beaucoup de films sympathiques sortiront de cette précieuse collaboration. On pensera notamment aux magnifiques "The Black Cat" (1934) ou "The Raven" (1935), tous deux inspirés de l'univers de Poe. Seul, Lugosi, tournera aussi "White Zombie" en 1932, film quasiment expressionniste et extrêmement oppressant, qui est devenu un classique du genre.

En médecin génial et mégalo dans The Raven (1935)...

...en scientifique vengeur face à un Boris Karloff psychopathe dans "The Black Cat"...

... et en meneur de zombies, en 1932, dans "The White Zombie"

En dehors des plateaux, malgré cinq mariages dont certains furent assez houleux, Lugosi se révèle être un homme charmant, quoique quelque peu fantasque (mais quel acteur ne l'est pas...) totalement à l'opposé des rôles qu'on a l'habitude de lui confier. En dépit de ses revers cinématographiques, il demeure bizarrement très attaché au personnage qui l'a fait connaître : il conserve une grande collection de capes et de costumes du comte, et s'amuse avec son fils à "jouer à Dracula" pendant des heures... Cette gestuelle, devenue mythique, fut d'ailleurs la directe source d'inspiration des studios Disney, lorsqu'ils réalisent en 1940 l'animation d'Une nuit sur le mont chauve pour Fantasia.

Le démon tapi dans la montagne, déployant ses ailes menaçantes durant la nuit
de Walpurgis, a été inspiré par la gestuelle de Lugosi

Mais Lugosi n'est pas totalement exempt de certains démons personnels. Ses anciennes blessures de guerre le feront souffrir toute sa vie, se faisant prescrire à tours de bras des injections de morphine et de méthadone dont il finira par devenir dépendant. Il se défera de cette addiction à la fin de sa vie, alors qu'il s'apprêtait à reprendre le chemin des studios aux côtés du réalisateur mythique mais très controversé, Ed Wood. Pratiquement ruiné, Lugosi meurt en 1956 d'une crise cardiaque, à l'âge de 73 ans.

Dans "The Invisble Ray"(1936)

S'engager dans la filmographie de Béla Lugosi, c'est pénétrer dans le monde de l'étrange, passant du chef d'oeuvre à des délires de série Z... On en ressort tantôt éberlué, tantôt surpris, mais jamais complètement indifférent. Dans la moindre de ses interprétations, même les plus étonnantes et les plus décalées, Lugosi reste presque cohérent, délicieusement sérieux, investi en quelque sorte par la pesanteur d'un rôle et d'un personnage à l'aura éternelle, qui fut tout autant une bénédiction qu'une malédiction.


"I have never met a vampire personally, but I don't know what might happen tomorrow"



28 septembre 2016

Le Bal des Vampires : le film et la comédie musicale

 

Film de Roman Polanski, de 1967 "The fearless vampire killers"

Avec Jack MacGowran (prof. Abronsius), Roman Polanski (Alfred), Sharon Tate (Sarah), Ferdy Mayne (le comte Von Krolock / le narrateur), Iain Quarrier (Herbert von Krolock), Alfie Bass (Shagal)...

Mais c'est aussi :

Une comédie musicale originale en langue allemande "Tanz der Vampire", de Jim Steinman (musique) et Michael Kunze (livret), créée en 1997 et mise en scène par Roman Polanski.

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Résumé

Le professeur Abronsisus et son jeune assistant Alfred arrivent en Transylvanie dans l'espoir de prouver l'existence des vampires, ou voire mieux, d'en débusquer... Fraîchement installés dans l'auberge du rustre Shagal, Alfred tombe éperdument amoureux de sa fille, Sarah. Celle-ci est cependant convoitée par le comte Von Krolock que la jeune femme s'empresse de suivre jusqu'à son château, où aura bientôt lieu le traditionnel bal des vampires...

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J'ai patienté et réfléchi un long moment avant de visionner le fameux film de Polanski, The Fearless vampires killers, traduit en français par Le Bal des Vampires... Il s'agit pourtant d'un classique, d'un incontournable, presque d'une légende... Pourquoi avoir tant tardé ? Pour la simple (et bonne ?) raison qu'à l'âge de six ans, je suis tombée sur des photos du film dans une encyclopédie du cinéma, et que j'avais été terrorisée par l'allure du comte von Krolock... Les terreurs d'enfance étant ce qu'elles sont - et je conviens qu'ici, je les ai poussées quelque peu à l'extrême - j'ai toujours relégué ce film au plus bas de ma longue liste de films à voir. Suite à mes récents égarements littéraires et cinématographiques au coeur des insondables Carpathes, j'ai donc pris courageusement le taureau par les cornes, bien décidée à visionner ce classique du cinéma. Alors évidemment, on reléguera aussi au plus profond de sa mémoire tout ce que l'on sait sur Polanski, mais aussi les circonstances abominables de la mort de Sharon Tate, l'épouse du cinéaste, survenue en 1968, qui confère à cette oeuvre une aura quelque peu chargée...

Roman Polanski (Alfred) et Jack MacGowran (Abronsius)

Bref. Pour en venir au film, mon sentiment à l'issue du visionnage, en ayant soigneusement mis tout élément subjectif de côté, est finalement assez mitigé. Alors certes, on ne peut vraiment pas nier qu'il s'agit là d'une excellente parodie du film de vampires, tel que pouvait en produire les studios de la Hammer à l'époque, et c'est tout à fait dans cet esprit que je l'ai considéré. J'ai été sincèrement amusée par le personnage du professeur Abronsius, sorte de Van Helsing à bon marché, savant illuminé, complètement dépassé par les événements, et par le personnage d'Herbert von Krolock, le fils du comte, jeune homme sensible et romantique (et vampire, précisons-le), qui se prend d'une grande affection pour Alfred, campé par un Polanski délicieusement timide et maladroit... Malgré tout, je suis restée sur ma faim - sans faire de mauvais jeux de mots - tout en ressentant malgré tout une irrépressible sensation de malaise et d'oppression, qui est le propre de beaucoup de films tournés par Polanski. Sont-ce ces grands espaces enneigés, ces larges instants de plans silencieux, ces personnages aux caractères troubles et demeurant extrêmement inquiétants pour une comédie ? Je ne saurais le dire, sans doute s'agit-il de tout cela à la fois... Il est certain que ce film est un délicieux ovni, une oeuvre qui ne saurait être oubliée si facilement, et qu'elle mérite à ce titre d'être classée parmi les incontournables du cinéma.

La mythique scène du bain - Sharon Tate (Sarah) et Ferdy Mayne (Krolock)

Dans la foulée, j'ai donc enchaînée avec la comédie musicale qu'a mis en scène Polanski, sur une musique de Jim Steinman et un livret de Michael Kunze, et écrite à l'origine en allemand, même si celle-ci a été traduite dans de nombreuses langues (anglais, français, néerlandais, russe, hongrois,...), c'est bien en Allemagne que celle-ci a trouvé un public extrêmement attaché et fidèle depuis sa création en 1997. Il faut néanmoins reconnaître que cette version musicale est assez éloignée du matériau de base, car même si elle suit la trame du film de Polanski, on en est tout de même loin sur la forme. L'histoire demeure inchangée, et malgré quelques francs traits d'humour plutôt potaches, le registre est nettement moins fin et le sentiment d'asphyxie palpable dans l'oeuvre de Polanski passe complètement à la trappe. La musique quant à elle, même si elle sent parfois un peu le réchauffé, est véritablement très agréable à écouter, pour la simple et bonne raison que les deux airs principaux de la comédie musicale sont issus de chansons connues, écrits dans les années quatre-vingts et quatre-vingts-dix par Jim Steinman. On y reconnaît donc de nombreuses reprises de "Total Eclipse of the heart", écrite à l'origine pour Bonnie Tyler (Totale Finsternis), ou encore de "Original Sin", qui a été interprétée par Taylor Dayne et Meat Loaf (Gott ist tot), Ces deux musiques sont répétées régulièrement, quoiqu'en variant l'orchestration, tantôt rock ou classique, sans que jamais cela ne soit gênant. Ce sont deux thèmes très agréables, très forts aussi, dont personnellement je ne me suis lassée à aucun moment. Du reste, les voix et les interprètes choisis sont toujours sublimes, et rendent merveilleusement justice à cette musique entêtante. Du côté de la mise en scène, il est assez clair que l'aspect général des décors, des costumes, lorgnent franchement sur le Fantôme de l'Opéra de Webber, et ce jusque dans les personnages : Sarah l'ingénue, victime très consentante, qui n'a pas vraiment envie d'être sauvée, et de l'autre côté le comte Von Krolock, magnifique et grandiloquent, hautain et méprisant, sorte de mélange assez heureux du personnage de Gaston Leroux et de celui créé par Bram Stoker. Bref, autant dire que sans être très nouvelle, cette comédie musicale a du moins tout pour plaire... D'ailleurs, point de fin convenue ici : aux oubliettes le drame romantique, et bienvenue à une conclusion où les personnages les plus atroces ont leur mot à dire... Les vampires prédominent là où la science et l'amour échouent de manière assez lamentable. En cela, la fin de la comédie musicale ne s'éloigne pas d'un iota de celle du film, et c'est tant mieux.

"Tanzsaal" (La salle de bal) dans la production française de Mogador (2014-2015)


Jan Ammann dans la production allemande de 2015

Me reste à venir au personnage qui m'a définitivement séduite dans cette comédie musicale, qui comme on s'en serait douté, n'est autre que le comte Von Krolock, interprété dans sa première version par le merveilleux et regretté Steve Barton (qui fut le premier interprète de Raoul de Chagny à la création du Fantôme).

Steve Barton, le Krolock original de la version allemande

Comme je l'ai mentionné plus haut, Von Krolock a la grâce féline et hautaine d'un Dracula, les entrées dramatiques d'un Erik, l'aura délicieusement noire d'un Dom Juan... Il inquiète, et fascine avec la même aisance. Il est devenu un ressort principal de l'histoire, alors que Polanski dans son film ne lui réserve qu'un rôle secondaire. Ce qui était parfaitement justifié, au vu du contexte parodique plutôt glaçant d'origine. En versant dans le dramatique, le personnage du vampire plein de dédain, mais charmant quand il le faut, n'en devient que plus essentiel. Mais que l'on ne s'y trompe pas : Von Krolock n'est pas un romantique et le Bal des Vampires, n'est pas une histoire d'amour... Il a très peu de remises en question, mais il n'en est pas obligatoirement monocorde. La chanson "Die Unstillbare Gier" (La soif insatiable) en est une belle preuve. Sa solitude, sans doute, lui pèse, mais ses regrets passent vite. Il se détourne bien vite de son repentir pour se précipiter dans ses habituels travers. Encore que lesdits travers sont inhérents à sa nature, et que Sarah est toute prête à les lui pardonner...

Drew Sarich


Dans les interprètes les plus fameux, on trouve bien entendu Steve Barton, qui a réellement donné le ton en interprétant ce personnage avec une perpétuelle attitude de mépris. Mais depuis 1997, il y a eu de nombreux autres, dont on peut apprécier les variétés de jeu grâce à de larges extraits sur youtube, parmi lesquels on trouve Drew Sarich (qui fut un excellent fantôme dans Love never dies dans sa version allemande), ou encore Jan Ammann. Mon interprète de prédilection demeure néanmoins le Von Krolock de la version française jouée à Mogador il y a deux ans, Stéphane Métro : à la fois capable d'extraordinaires prouesses vocales, et de nuances de jeu absolument exceptionnelles, qui font littéralement frissonner d'émotion. On regrettera cependant les quelques maladresses de la traduction française...

Stéphane Métro, un von Krolock délicieusement dramatique

Si l'on est adepte de comédies musicales, le visionnage de Tanz der Vampire se révèle absolument obligatoire. En cherchant un peu, on trouve des versions intégrales sur youtube (je ne peux que conseiller la version avec Steve Barton, ainsi que celle avec Drew Sarich. Une version filmée professionnelle est également visible, avec Kevin Tarte). On peut voir aussi quelques extraits de la version française, dont je ne résiste pas à poster l'un des moments les plus emblématiques :




Et l'une des plus merveilleuses interprétations de "Gott ist tot", par Steve Barton :


 

Trailer (malgré l'intitulé, les images correspondent à la production française) :

14 septembre 2016

La Passe-Miroir : "Les fiancés de l'hiver" et "Les disparus du Clairdelune", de Christelle Dabos



Ophélie vit à Anima, une "arche" pacifique dans lequel tous les habitants ont le pouvoir de donner vie aux objets, ou de les "lire", c'est-à-dire, de deviner leur histoire par le simple toucher. Liseuse habile, mais également passe-miroir, la jeune femme timide, effacée, maladroite, est pourtant contrainte à un mariage diplomatique avec un habitant du Pôle. Son futur époux, Thorn, homme rigide, glacial, est le surintendant de la Citacielle, la forteresse volante où se tient la cour du Seigneur Farouk. C'est dans ce monde impitoyable, où l'intrigue et l'assassinat tiennent lieu de passe-temps, qu'Ophélie va devoir trouver sa place... 

***

Quel énorme coup de coeur que cette saga, découverte grâce à Lorinda, et à de maintes reprises conseillée par des lecteurs au goût très sûr ! Je crois que très honnêtement, cela faisait très longtemps, plusieurs années même, que je n'avais été aussi passionnée par une lecture, et impatiente aussi de la poursuivre. Christelle Dabos, toute jeune auteure dont il s'agit de la première oeuvre, a réussi à créer un univers d'une richesse incroyable, plaisant et nouveau, au confluent de la fantasy et de la littérature classique. L'ambiance n'est peut-être pas sans rappeler les meilleures pages de Philip Pullman ou de J.K. Rowling, mais qu'on ne s'y trompe pas : l'univers de La Passe-Miroir est entièrement original, complètement neuf, et le style terriblement addictif ! Pour preuve, ces deux livres de près de six cents pages ont été avalés en trois jours... ! 

Est-ce de la littérature jeunesse ? Sans doute, puisqu'il semble y être classé, mais je trouve que cette série va bien au-delà de cette classification dans laquelle on a tendance à trouver beaucoup trop de romans américains au style dégoulinant de bons sentiments, qui finissent par tous se ressembler, à force de faire un usage immodéré de vampires et de loups-garous. La Passe-miroir est bien loin de tout cela, et c'est peu dire...

L'ambiance, le cadre, le monde dans lequel évolue les personnages est à la fois attachant et extrêmement énigmatique. Ce monde répond à ses lois, ses règles propres : le monde tel qu'il existait et que nous connaissons, a été scindé en "arches", des morceaux de la Terre originelle, qui sont régis par des Esprits de famille, patriarches fondateurs, sortes de demi-dieux immortels et tout-puissants, dont on ne sait presque rien. Sur Anima, la vie semble s'écouler paisiblement dans un système matriarcal, où les habitants semblent relativement libres de leurs faits et gestes. Du moins jusqu'à un certain point, puisque Ophélie, l'héroïne de cette série, gardienne d'un petit musée dédié aux objets de l'ancien monde sur Anima, se voit contrainte, après avoir refusé deux demandes en mariage de membres de son arche, à accepter des fiançailles avec un habitant du Pôle, une arche hostile et glaciale, que l'héroïne devra rejoindre contre son gré. La jeune fille maladroite, effacée, se retrouve fiancée à un homme qu'elle n'a jamais vu, et qui dès la première rencontre, lui inspire une crainte bel et bien fondée. On compte en effet ne pas lui faire épouser n'importe qui, puisque Thorn, cet homme au visage barré de cicatrices, rigide, antipathique, est le surintendant de la Cour de son monde. Un être aussi craint que détesté, qui ne semble guère plus ravi que la jeune femme de cette union...

Au fil des pages de ces deux tomes, l'histoire se développe magnifiquement, laissant la place à une intrigue retorse, dans laquelle on ne compte plus les complots ou les assassinats... Le fonctionnement des arches et la toute-puissance des Esprits de famille se révèlent également à l'issue du second tome plus énigmatique que jamais... Le personnage d'Ophélie, jeté littéralement en pâture dans un monde terrifiant, timoré et maladroit à l'ouverture du récit, se révèle au final d'une force et d'une résolution admirables. Evidemment, comment ne pas évoquer Thorn, le personnage-phare du récit, d'un abord détestable, dur et intraitable, qui déteste visiblement l'idée même du mariage avec la pâle animiste, et dont on voit progressivement se fissurer l'enveloppe de glace... Le personnage est complexe à souhait, délicieusement insaisissable et odieux, misogyne et taciturne... Une véritable incarnation byronnienne dans laquelle se mêle avec bonheur quelques traits de caractère à la Javert ! Un mélange jubilatoire, s'il en est, puisque le personnage, sous des dehors impassibles et froids, se révèle être un merveilleux condensé de frustrations et de passions réprimées...

Les personnages secondaires sont brossés magnifiquement, qu'ils soient attachants ou terrifiants, et l'univers entier de La Passe-Miroir semble prendre vie de manière presque surnaturelle dans l'esprit du lecteur ! Une très belle et passionnante découverte que cette série, dont attend au total quatre tomes, dont le troisième semble prévu pour le courant de l'année 2017. D'ici là, on patientera difficilement... en relisant les deux premiers volumes !

A lire et à relire !

Site officiel de La Passe-Miroir