06 avril 2012

Claude Frollo : Les identités tragiques d'un personnage méprisé (3/6)

Première partie / Deuxième partie

1982 : Sir Derek Jacobi : dramatisme et humanisme shakespeariens


Inutile de le dissimuler : j'avoue avoir véritablement tardé à rédiger cet article, pour la simple raison qu'il me fallait  l'entamer par quelques mots au sujet de cette adaptation télévisée de 1982, qui n'a jamais soulevé mon enthousiasme. Et pourtant... comment pourrait-on se plaindre de la pléiade d'acteurs tous plus excellents les uns que les autres, qui figurent sur une affiche plutôt alléchante ? En effet, on trouve le toujours étonnant Anthony Hopkins en Quasimodo (même s'il est à peine reconnaissable, il faut en convenir), le troublant David Suchet en Clopin Trouillefou, ou même Robert Powell, à qui l'on a bizarrement confié le rôle de Phoebus, choix que je m'explique difficilement, mais passons. On remarquera également les apparitions du talentueux Tim Piggott-Smith, ou encore de l'immense John Gielgud.
Malgré tout, le charme n'opère pas. Le sentiment fort mitigé qui a inspiré mon sentiment depuis le premier visionnage, perdure. L'adaptation toute entière laisse indifférent, l'intrigue, même bouleversée - et ce ne sera pas son principal défaut - ne parvient pas à susciter le moindre attachement, la moindre étincelle à cette adaptation, qui malgré son soin visible, apparaît invariablement désordonnée, vaine, ... creuse en quelque sorte.
Lesley-Ann Down est certes fort jolie, mais maquillée et si parfaitement manucurée en plein XVe siècle, que cela est presque risible... Mais ce n'est finalement pas ici le propos, puisqu'il est n'est question que de Claude Frollo, c'est-à-dire dans le cas présent, de l'immense acteur britannique Sir Derek Jacobi.


Alors, bien entendu, il me sera impossible d'en dire le moindre mal, puisque force est de reconnaître qu'il fait sans doute partie des acteurs les plus talentueux, les plus éminents du théâtre anglais de notre temps.

Cette adaptation, il est nécessaire de le concéder, fait la part belle à un Frollo ayant conservé son sacerdoce, et bénéficiant de plus d'une notoriété quelque peu excessive, par rapport à ce qu'elle est dans le roman. Il demeure néanmoins, à l'égal de Quasimodo, l'un des personnages centraux de cette fresque. Il apparaît tout d'abord comme un personnage respectable et bon, ce qui sur le fond est tout à fait juste. Mais où est passée la part d'ombre du personnage que l'on peine à entrevoir ? Existe-t-elle vraiment dans cette adaptation ? Si l'on peut bien comprendre l'ampleur son égoïsme, de sa lâcheté, où sont passés ses tourments intérieurs ? Que devient cette quête d'absolue, ces heures de solitude et recherches vaines passées à se consacrer à l'alchimie, cette science obscure qui l'écarte du monde, et qui renforce la crainte qu'il y suscite ? Où sont ses heures lugubres de questionnement sur l'utilité de Dieu, de sa vie, ses instants de délire et de fièvre ? Où se sont égarées sa solitude, sa froideur qui dissimule pourtant bien des accès de passion ?
Même si Derek Jacobi a laissé transparaître une belle humanité chez Frollo, le scénario a pris des raccourcis maladroits, donnant à voir de lui un résumé bien simpliste. Dans un certain sens, cette incarnation est une nouvelle fois unidimensionnelle.
Certes, l'acteur apparaît dramatique dans sa déclaration, pathétique dans ses larmes (et on y reconnaît une intonation toute shakespearienne), mais son personnage paraît si éloigné de son modèle original, qu'il est difficile de percevoir l'intensité de son désespoir, ou plus généralement de la pesanteur tragique de l'histoire...
On le verra plus simplement comme un obsessionnel pervers plutôt qu'un prêtre torturé par des contradictions violentes... On ne pourra malheureusement que le déplorer...


1996 : le Juge Frollo selon Disney : l'incarnation de la justice implacable

Je n'ai pu bouder mon plaisir en découvrant pour la première fois cette adaptation de Disney. Tout d'abord, il serait malhonnête de dire qu'elle ne serait pas d'excellente facture, comme cela est le cas de la plupart des productions de ce studio. Certes, on pourra y trouver à redire sur le scénario, qui s'éloigne bien entendu du roman, mais comment transcrire avec respect la tragédie de ce roman, et la violence des sentiments des protagonistes, lorsque l'on s'adresse principalement à un public de moins de 12 ans... ?
A vrai dire, le résultat est tout à fait admirable dans l'ensemble, et vu la catégorie de cette adaptation, il serait parfaitement injuste de la fustiger. Un très beau travail a été fait sur les personnages : Esméralda est belle et courageuse ; Quasimodo est un coeur tendre ; Phoebus est un preux chevalier animé de bons sentiments. En bref, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Evidemment, il n'y aurait ni moteur, ni fondement à histoire s'il n'y avait cet incontournable archétype du mal, que l'on retrouvera dans l'incarnation de Frollo.

Bien entendu, dans ce contexte, il est bien compréhensible que celui-ci ait subi une nouvelle dichotomie. A l'image du Frollo de 1939, il sera juge. Un juge tout puissant, cruel, calculateur, xénophobe, mais dévôt. Il m'a fait penser à une sorte d'Ivan le Terrible, en version édulcorée...
Car ce Frollo, malgré qu'il ait été très fortement modifié sur le fond, n'en est pas moins très inquiétant sur la forme. Il apparaît comme une grande figure noire, mais non manichéenne. Les scénaristes l'ont terriblement et merveilleusement nuancé. Il recueille Quasimodo, car contraint à le faire par l'archidiacre de Notre-Dame (et là, on retrouve à nouveau une espèce de conscience extériorisée, sous la forme de l'homme d'église, toujours dans l'esprit de la version de 39). Il élève l'enfant en quelque sorte, sans l'aimer. Ici, il n'a pas de frères, pas de sympathie, pas de miséricorde, rien en somme qui le relierait à une quelconque humanité. Aime-t-il Esmeralda ? Cela est même difficile à dire... Mais il la convoite, et il l'exprime en mots rageurs, violents.


La  scène où Frollo se trouve face aux flammes de sa cheminée, dans lesquelles se dessine Esmeralda, est une évocation finalement osée de la véhémence de ses sentiments, mais ô combien réussie. L'entièreté du graphisme de cette séquence est une merveille, et elle a réussi à présenter les délires fiévreux du personnage, en mêlant le lugubre et l'outrancier.
Le talent de Jean Piat au doublage n'y est certainement pas étranger...



Il y a du Bernardo Gui dans cette incarnation de Frollo, dans son acharnement mauvais, dans ses craintes fiévreuses d'une punition divine. On perd de façon inévitable la tragédie réelle de ses tourments intérieurs, d'aimer et d'être haï en retour, de s'enfoncer peu à peu dans une folie qui détruira tous ceux qu'il touche.

Le personnage de Disney n'échappera d'ailleurs pas à son destin terrible : les excès de sa folie et de son acharnement le précipiteront dans l'abîme... Un abîme de feu, dans lequel il craignait tant de chuter.

A venir : Laurent Hilaire (ballet de Roland Petit) et Richard Harris (1997) : Quatrième partie

3 commentaires:

  1. Et voilà notre sir Derek Jacobi qui essaye à son tour de faire une nouvelle interprétation de Frollo, que tu décris encore une fois merveilleusement bien...

    Je n'aurais pas grand-chose à rajouter sur ce que tu as dit : cette adaptation avait tout pour être excellente (acteurs comme décors, même si à mon sens Lesley-Ann Down danse comme une patate ^^) mais quelque chose s'est arrêté en chemin ? Tout cela pour rendre cet aspect si creux de l'adaptation que tu mets en évidence. Il y avait là de belles possibilités qui n'ont pas été prises. Même si Sir Derek Jacobi forme un Frollo plutôt humain, torturé, il lui manque bel et bien cette profondeur que tu décris, et ceux malgré les scènes qu'il a récolté en plus. Peut-être manque-t-il ces fameuses 50 minutes légendaires qui ont été, dit-on, perdu au passage en dvd...

    C'est personnellement une version que je ne regarde que pour cet acteur, car tout le reste m'y paraît très plat et les dialogues d'assez mauvaise qualité, sans compter les côtés maladroits de l'adaptation ou du script. Ca a dû jouer dans l'absence de profondeur et de désespoir de ce Frollo...

    Je ne peux encore que te saluer pour une telle analyse, vraiment ! ^^

    A bientôt !

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  2. Bonjour Clelie!

    J'avoue que j'ai un avis mitigé sur cette version de 1982. D'un côté je la trouve bien, mais en même temps tellement éloignée du roman. Ce que j'ai vraiment eu du mal dans cette adaptation, c'est que Frollo ne voit jamais Esmeralda danser, alors que c'est le point de départ de tout. Les acteurs sont assez convaincant dans leurs rôles, même si je n'aime pas particulière l'actrice qui joue Esmeralda. Je la trouve un peu trop sérieuse, alors que dans le livre c'est une jeune fille qui découvre les effleure de l'amour. Mais parlons plutôt de Claude Frollo, c'est ta dire Sir Derek Jacobi, qui joue très bien, malgré quelques petits points qui me dérange. Ce que je reproche à son jeu d'acteur, c'est qu'on le sent pas amoureux, mais juste un prêtre dont les hormones les démangent, et je trouve ça dommage. J'ai eu du mal durant toute la première partie du film, ou il faut l'avouer, prenne des grandes liberté par rapport au roman (Frollo qui recueille Esmeralda dans la cathédrale alors quelle vient de se faire arrêtée, essaye de la violer, c'est quoi le délire là ? ) Mais le point positif de ce film, et qui pour moi fait peut être la différence aux autres adaptations, c'est que les décors sont convaincants, et il y a la fameuse scène dans la prison. Certes, elle est assez vite tranchée, mais comment retranscrire un monologue de 10 pages dans un film ? Le jeux de Jacobi est bien, même si il passe toujours pour un pervers obsessionnel. Pour finir sur cette adaptation, certes ce n'est pas la meilleure (pour moi celle de 1956 restera l'une des meilleures, surtout au niveau des dialogues et du jeu!), mais malgré tous les défauts que j'ai cités, restent assez agréable à regarder. Peux être que je fais trop d'éloges à cette version car c'est la première adaptation du roman que j'ai regardée.

    AH! Passons maintenant à mon disney préféré : Le bossu de Notre-Dame. Ce que je trouve fascinant dans ce dessin animé, c'est qu'en grandissant on comprend pleins de chose (la tolérance, l'acception de soi, et le respect) Esmeralda, ou la première princesse courageuse et batailleuse ! Une vrai women power ! Même si ce disney ne s'inspire que des personnes de Hugo, je le trouve vraiment réussi! On retrouve en chacun un trait de caractère que Victor lors avait donné. La musique Infernale est magistrale, et le doublage joue beaucoup. Et encore une fois, le film tourne autour des conséquences de Frollo (s'il n'avait pas décidé d'arrêter Esmeralda, rien ne se serait produit à la suite) Une de meilleures disney à mon goût. Complexe, sérieux, et tellement humain.

    Je reviens bientôt pour la suite de tes articles, et merci pour le lien de l’adaptation de 1977. Je le regarde quand j'ai du temps, et surtout quand j'aurais un niveau d'anglais pour comprendre toute les phrases xP

    Cordialement,
    Lily.

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  3. Bonjour Lily !

    Une nouvelle fois, je te remercie chaleureusement pour ton commentaire ! Je vois que l'on se rejoint à nouveau sur la version de 82, avec ses quelques points forts, et ses défauts. Ces derniers étant à mon sens bien trop écrasants pour en faire une adaptation réussie. Comme tu le dis, ils sont réellement passés à côté du personnage et de ses tourments réels. Le Frollo de cette version est très éloigné de ce qu'il devrait être, et on ne parvient pas réellement à l'appréhender, d'où toute la difficulté, je pense, à mettre des mots sur ce qui ne tourne pas rond dans cette adaptation. Comme tu le dis justement, on ne voit jamais Frollo observer Esméralda danser, or il est vrai que c'est le point de départ de tout ce qui suivra, de l'amour étouffé, désordonné qui le brûle, à la rage obsessionnelle qui le conduira de manière inévitable à la folie.

    Quant au dessin animé, c'est l'un de mes Disney préféré aussi ! Le personnage d'Esméralda y est très attachant, beaucoup plus même que son homologue littéraire... ! :)
    Ce que tu dis est très juste, on y perçoit tout à fait l'essence originale des personnages, mis à part peut-être Phoebus, que le dessin animé n'a pas beaucoup égratigné.

    Mais de rien pour les liens pour l'adaptation de 77. Je ne crois pas qu'il existe une quelconque version avec un sous-titrage français. Si j'en trouve une, je te fais signe ;)

    A bientôt et au plaisir de te lire !

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