26 avril 2014

La pile de DVD du mois (1/...)

Faute d'inspiration pour terminer la deuxième partie de l'article sur Werther, et surtout parce que je n'ai pas envie de me torturer les méninges sur ses souffrances pour l'instant, c'est l'occasion de faire le point, sans prises de tête, sur les derniers visionnages du mois. ^_^
Beaucoup d'opéras comme vous le verrez, une fois n'est pas coutume.
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Parsifal, opéra en 3 actes de Richard Wagner, dirigé par Daniele Gatti. Avec Jonas Kaufmann, René Pape et Katarine Dalayman,...

Oui, je l'ai fait ! Je suis venue à bout des 4h40 de cet opéra...! Bon, je l'ai regardé sur trois jours, ce qui minimise peut-être mon mérite... Mais enfin, je ressors assez fière de mon premier visionnage d'un opéra wagnérien ^_^. Parsifal n'est sans doute pas le plus facile d'accès, et la mise en scène post-apocalyptique de François Girard n'aide pas beaucoup le néophyte... Disons que la présence conjointe du fascinant Jonas Kaufmann et du toujours très méphistophélique René Pape a de quoi motiver les plus réfractaires. Je ne connaissais pas cette version de l'histoire de Parsifal, et cette quête de la Sainte Lance, dérobée au gardien du Graal, que le héros récupérera au terme d'un long voyage initiatique. J'ai découvert quelque chose, sans être pour autant bien certaine d'appréhender le tiers du quart des références et de la symbolique de cet opéra, réellement assez hermétique sur le fond tout autant que sur la forme. Cependant, à ma grande surprise, même si je ne suis décidément pas fan de la mise en scène, malgré quelques puissantes évocations de ciel et de visions cosmiques projetées en toile de fond, je me suis surprise à réellement apprécier la musique de Wagner, sa puissance, son lyrisme et sa connotation spirituelle, servie de plus par des chanteurs admirables... 


Faust, opéra en 5 actes de Charles Gounod, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, avec Jonas Kaufmann, René Pape et Marina Poplavskaya.

Eh oui, encore un opéra avec Jonas Kaufmann... Il faut dire qu'il s'agit là d'un chanteur réellement extraordinaire, tout autant que d'un acteur très convaincant, ce qui ne gâche rien. Tiens donc, on y retrouve également René Pape. Et quand ces deux-là sont à l'affiche, je ne réponds plus de rien ^_^.
Cette version de Faust est elle aussi très singulière dans son choix de mise en scène, puisque l'action est transposée (on le suppose en tout cas), durant l'après-guerre, et le docteur Faust devient alors un scientifique accablé par le remords d'être responsable de la conception de la bombe atomique... Choix très étrange, évidemment, sur lequel on pourrait s'interroger longtemps sans réellement trouver de réponses. Cette mise en scène elle aussi très froide, vide et sombre a le don de mettre le spectateur vraiment mal à l'aise. René Pape est toujours aussi magistral en Méphistophélès, tandis Jonas Kaufmann donne à voir un Faust à la fois fascinant et méprisable. Un duo Faust/Méphisto qui fonctionne à merveille, à un tel point que les deux personnages en deviennent gémellaires... C'est assez troublant, et cela donne une merveilleuse relecture du mythe...

La Bohème, film de Robert Dornheim, d'après l'opéra de Giacomo Puccini, avec Anna Netrebko et Rolando Villazon.  

Il s'agit d'un opéra transposé pour le cinéma, cette fois. Je ne connaissais pas cette version raccourcie de l'oeuvre de Puccini. Autant le dire, La Bohème n'est pas mon opéra préféré, en tout cas, j'en gardais, après un visionnage d'une diffusion en direct d'Orange il y a plusieurs années, un souvenir très ennuyé. Mais je crois que ce film, bénéficiant de jolies images, d'une très belle mise en scène, et de chanteurs que j'apprécie beaucoup, m'a en partie réconciliée avec cette histoire belle, mais triste à pleurer... Notons que le merveilleux Rolando Villazon a presque réussi à faire paraître le personnage de Rodolfo moins antipathique...





Sylvie et le fantôme, film de Claude Autant-Lara, avec Odette Joyeux, Jacques Tati, François Perrier et Jean Dessailly.

Le charmant bonbon que voilà... Il est clair que ce film fait tout à fait penser à Le Fantôme et Mrs Muir, sorti deux ans plus tard, et qu'il s'inspire donc très certainement du roman éponyme, à cela près que le fantôme qui hante la jeune Sylvie (Odette Joyeux) demeure muet, contrairement au volubile Capitaine Greg de Mrs Muir.
C'est un joli film, aux effets spéciaux plutôt convaincants pour l'époque, romantique à souhait, à la fin duquel on ne peut s'empêcher de verser une petite larme réglementaire...






10 avril 2014

Werther, de Goethe à Massenet : Un absolu d'amour et de mort (1/2)


La mort de Werther, de François Charles Baude 
En quelques mots...

Werther est un jeune homme de bonne famille, en villégiature à Wetzlar. Il y fait la connaissance de la fille du bailli, la douce et belle Lotte, qui élève avec tendresse ses frères et soeurs, orphelins de mère. Au retour d'un bal auquel il l'a emmenée, Werther tombe irrémédiablement sous le charme de la jeune fille, mais celle-ci est promise à un autre. Werther tente d'oublier Lotte, en vain. Cet amour, qui ne peut être payé de retour, tourne à l'obssession et au drame : après une ultime et déchirante entrevue avec elle, Werther, anéanti par la souffrance et les larmes, décide d'en finir et se suicide.

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Le résumé peut paraître certes un peu expéditif, et vous m'en excuserez...Après avoir tourné et retourné la matière de ce roman à plusieurs reprises, il apparaît rapidement que l'unique fil conducteur de cette oeuvre épistolaire de Goethe, écrite en 1774, repose sur Werther et son amour contrarié pour Lotte. Amour inévitablement lié au drame, puisque Werther s'épuise à espérer, à pleurer, à exacerber des sentiments sans retour, qui le précipiteront vers une déchéance morale et physique inévitable.

Pendant longtemps - pour ne pas dire, des années - Goethe et Les souffrances du jeune Werther m'avaient toujours rebutée, tout d'abord parce que ma première lecture de Goethe (Faust - première partie, traduit par Gérard de Nerval) s'est avérée longue et fastidieuse, et ensuite par l'image même du romantisme larmoyant auquel se rattache Werther, personnage qui m'avait semblé se plaindre, et pleurer beaucoup sans motifs apparents. Pendant littéraire du courant artistique allemand Sturm und Drang, Les souffrances du jeune Werther, malgré son statut emblématique, était resté pendant longtemps dans mon esprit, comme une oeuvre inaccessible et geignarde propre à un certain romantisme primitif. 

Le voyageur contemplant une mer de nuages, de Caspar David Friedrich (1818).
Oeuvre représentative du courant Sturm und Drang (Tempête et passion) de l'Allemagne romantique.

Probablement que je n'aurais jamais changé d'avis en la matière, si Massenet et son opéra n'étaient passés par là. Après Manon, d'après l'abbé Prévost, et Le Cid, Massenet s'attaque à Goethe et au personnage de Werther en 1892. Cette oeuvre, dont l'Opéra de Paris ne veut pas, parce qu'elle est considérée - peut-être à juste titre - comme excessivement triste, trouve preneur à l'Opéra de Vienne, où elle est jouée, avec succès, en langue allemande. L'opéra, en français cette fois, ne reviendra que quelques années plus tard à Paris. 

C'est grâce à cette oeuvre splendide du grand compositeur français, et surtout à la version de 2010 filmée à l'Opéra Bastille, mise en scène par Benoît Jacquot, que je dois cette redécouverte de Goethe et du personnage de Werther. Disons également que les personnages principaux, incarnés par la délicieuse Sophie Koch et le passionnant Jonas Kaufamnn n'y sont sans doute pas complètement étrangers non plus... En fait, je crois qu'il serait très malhonnête de dire que ce n'est pas entièrement grâce à eux que j'ai commencé à considérer Werther d'une manière nouvelle, et surtout beaucoup moins critique...

Jonas Kaufmann (Werther) et Sophie Koch (Charlotte) - Opéra Bastille 2010 (réal. Benoît Jacquot - dir. Michel Plasson)
Le livret de l'opéra n'a guère changé la trame du roman, si ce n'est pour se recentrer sur l'essentiel. Les personnages ne sont pas davantage transformés sur le fond, mais sur la forme, il est certain que la Charlotte (Lotte) de Massenet a tout autant d'importance dans l'opéra que n'en a Werther et c'est tant mieux. A travers les lettres de Werther chez Goethe, on ne voit Charlotte qu'à travers les yeux du héros, et elle en paraît de ce fait la plupart du temps comme un personnage éloigné, distant du drame. Ce n'est que lors de la scène finale qui l'oppose au jeune homme pour la dernière fois, qu'elle semble intégrer pleinement la tragédie, mais pas avant. Ensuite, il y a le personnage d'Albert, le fiancé puis le mari de Charlotte, qui a subi une sérieuse transmutation. Goethe a décrit Albert comme un homme bon, plutôt compréhensif et sympathique, que Werther ne peut réellement se résoudre à détester. Il a vu l'affection du jeune homme et la comprend, comme il comprend son désarroi. Il ne voit pas les visites de Werther d'un oeil mauvais, puisqu'il est persuadé que son épouse n'a qu'un affection fraternelle pour lui. Il se rend compte très tardivement que Charlotte n'a maintenu entre eux pendant tout ce temps qu'une distance froide et convenue pour s'empêcher de répondre aux sentiments du jeune homme en plein désarroi. 

Ensuite, l'opéra permet de percevoir un autre élément essentiel de l'oeuvre de Goethe. S'il s'agit effectivement d'une oeuvre propice à faire fondre tous les coeurs romantiques, elle n'en est pas moins aussi et surtout, le récit de la quête d'un absolu. Werther incarne à lui seul les aspirations d'une jeunesse dénuée d'amertume. Werther, est dans son registre propre un personnage extrême, presque binaire : il admire la nature et les gens d'une manière brute, sans arrière-pensées. Il fonctionnerait quasiment d'une manière animale : il recherche une symbiose parfaite avec la nature et les êtres qui l'entourent, évitant toutes interférences matérielles. Dans sa conception des choses, le monde n'a à offrir que bonheur et pureté. En rencontrant Lotte, il a trouvé son absolu, puisqu'elle incarne à elle seule toutes ses aspirations échevelées : il ne verra désormais plus les choses qu'à travers elle. Il ne conçoit d'ailleurs leur relation que d'une manière pure et idéalisée. Lorsqu'il se heurte à l'impossibilité de l'aimer, et donc de concrétiser son désir d'absolu, c'est tout son être qui s'effondre. Il est en quelque sorte un personnage "déraillé" (merci Victor Hugo pour ce qualificatif qui s'adapte ici merveilleusement.. ^_^). En voyant ses aspirations bafouées, devenues contraires, il perd de vue son absolu, qui se transforme alors progressivement en une absolue nécessité de mourir.

Ces aspects sont bien entendus nuancés dans les différentes adaptations de l'opéra qu'il m'a été donné de voir, qui vont donc offrir une plus grande richesse à la trame, mais également aux personnages. Je mentionnais plus haut la version de l'Opéra Bastille de 2010, qui a été en quelque sorte mon "élément déclencheur werthérien" ^_^. Je parlerai donc de cette production en premier lieu.

La scène emblématique de l'acte 3 et les fameux vers d'Ossian : "Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps ?"
Tout d'abord cette version est dirigée par Michel Plasson, et je deviens tout à coup très partiale. Même si je n'y connais rien en musique, il faut reconnaître que le maestro Plasson aux commandes donne toujours un résultat passionné et passionnant incomparable...Quant à la mise en scène et la réalisation, elle a ses admirateurs comme ses détracteurs. On peut tout d'abord lui reprocher d'être particulièrement froide et sombre, ce qui personnellement ne m'a pas gêné, car elle se rapproche assez bien du romantisme noir qui émane de l'oeuvre originale. Ensuite, notons ces angles de caméra choisis de manière assez surprenante (depuis les coulisses, dans les coulisses, en plongée depuis les cintres, depuis la fosse, sans compter les gros plans pas toujours très flatteurs, etc.), qui donnent tour à tour beaucoup de force à la mise en scène somme toute assez statique, quand ce n'est tout simplement pas un aspect assez bizarre à l'ensemble. Personnellement, cela m'a plus surprise que gênée, et je ne pourrai pas retenir cet argument pour en dire le moindre mal. Ensuite, il y a les deux chanteurs principaux, Jonas Kaufmann et Sophie Koch, déjà mentionnés plus haut, qui donnent à voir un couple Charlotte/Werther d'une merveilleuse alchimie. Si Sophie Koch sert avec brio son personnage, d'une manière à la fois douce et vivante, j'ai été assez époustouflée par le Werther de Jonas Kaufmann, qui a su renouveler à la perfection ce personnage tourmenté.

Jonas Kaufmann, l'incarnation parfaite du héros tourmenté de Goethe.

Le Werther de Kaufmann est éminemment romantique et sombre, en perpétuel questionnement. Comme discuté avec Lorinda, le chanteur intellectualise beaucoup ses rôles, et cela se ressent jusque dans les moindres détails. Son Werther est à la fois passionné et froid, réfléchi et fou. Cela révolutionne en soi la perception première que l'on pourrait avoir de son personnage, faussement considéré comme assez monocorde. Son désespoir latent bénéficie de sursauts échevelés, qui transforme le jeune homme apathique et maladif forgé par l'imaginaire collectif en un homme réfléchi, animé de désirs et d'aspirations au-delà de sa seule condition humaine, qui perd pied dans son propre absolu. Kaufmann, selon ses propres dires, l'a compris comme un personnage à la psychologie préalablement très instable (voir animé d'un état maniaco-dépressif). En aimant Charlotte, il l'investit d'une mission bien lourde à accomplir : le sauver. Ce statut rédempteur, la jeune femme n'en a pas peur, puisqu'elle l'a visiblement endossé dès sa rencontre avec Werther. En l'acceptant, elle n'a pas considéré qu'il était bien au-delà de sa portée, puisque Werther est d'avance un personnage perdu, voué d'une manière irrémédiable au tragique.

Sophie Koch : la Charlotte rédemptrice
Notons que le personnage d'Albert, interprété par le magistral Ludovic Tézier, donne dans l'opéra (et donc dans le livret) une vision bien différente de celui de Goethe. Albert est un homme cartésien, terre-à-terre, autoritaire et glacial, offrant un contraste manifeste avec la sensibilité excessive du héros. Impossible au spectateur d'apprécier réellement le personnage vu sous cet angle. D'autres interprétations d'Albert, bien plus nuancées, comme celle de David Bizic (MET 2014), offriront une une vision plus flatteuse du personnage, mais aussi sans doute plus goethéenne.

Ludovic Tézier (Albert)
L'apparence assez froide et sombre de la mise en scène et des lumières ont tendance à concentrer le drame sur Werther et sa tragédie personnelle, sur sa déchéance psychologique liée à l'obsession désastreuse qu'il éprouve pour Charlotte, plutôt que sur l'histoire d'amour en elle-même. Cette version donne à voir un drame très intériorisé, ce qui est magnifiquement représenté dans tout l'acte 4, qui se déroule entièrement sur le suicide et l'agonie de Werther. C'est lorsqu'il meurt, dans une chambre exiguë, fermée, obscure, à la géométrie étouffante, que Charlotte revient vers lui, et c'est le sourire aux lèvres qu'il s'éteint, dans les bras de la jeune femme. C'est finalement en mourant que Werther touche à la fois à ce bonheur et cette paix ultimes de l'âme qu'il avait toujours cherchées.

Pour terminer cette première partie de cet article, je ne résiste pas à poster une nouvelle fois l'extrait de l'acte 3, qui reprend les vers d'Ossian, traduits par Goethe :

" Pourquoi me réveilles-tu, souffle du printemps ? tu caresses et tu dis : "Mes rosées sont les larmes du ciel" Ah ! le moment est proche où je vais me flétrir ; la tempête est proche, qui m'enlèvera mes feuilles. Demain le voyageur viendra, il viendra, celui qui m'a vu dans ma beauté, et tout alentour ses yeux me chercheront et ne me trouveront pas."


A suivre : Werther, filmé au Théâtre de Turin (2014), avec Roberto Alagna et Kate Aldrich - Werther, filmé au Metropolitan Opera de New York (2014), avec Jonas Kaufmann et Sophie Koch.

Deuxième partie de l'article : par ici.